Gen Paul, un peintre montmartrois blessé de guerre


L'enfance et la jeunesse de Gen Paul puis son départ pour la Grande Guerre


De son vrai nom Eugène Paul, pur produit de la butte Montmartre, du 96 rue Lepic pour être exact, Gen Paul fera partie de ces peintres célèbres qui resteront fidèles à Montmartre toute leur vie durant.
Le père de Gen Paul, qui s'appelait aussi Eugène Paul, rencontra Joséphine Recourcé au bal du Moulin de la Galette. Ils se marièrent deux ans après la naissance de leur fils.

D'abord élève à la maternelle de la rue Caulaincourt puis l'école de la rue Lepic, Gen Paul était un enfant turbulent. Il passait une grande partie de son temps avec ses copains de la butte Montmartre du côté du Boulevard Clichy et observait attentivement tout ce qui se passait dans son quartier et ailleurs : bagarres, règlements de comptes agressions nocturnes...Il avait très tôt compris que l'école de la rue, lui serait bien plus utile pour affronter sa vie d'adulte que d'user les bancs d'école. Dans la rue, il apprendra à se battre, se faire respecter. Il n'aimait guère l'école mais il était plutôt bon élève. A 14 ans, il obtient son certificat d'étude. Son professeur de dessin décela chez lui un talent naissant et l'encouragea à s'inscrire à des cours de dessins. Ce qu'il fera et bientôt cette nouvelle passion deviendra une réelle obsession ; il dessinait partout, sur ses mains, ses genoux, les trottoirs..
Bien malgré lui, il fut contraint de se trouver un métier pour subvenir à ses besoins. Il multipliera les expériences :décorateur, boucher, livreur, tapissier, vendeur de journaux, le tout sans de réelle motivation. Fasciné par le métier de comédien, il tentera également d'entrer dans le milieu du spectacle mais sans succès. Il s’improvisa même guide touristique au cimetière Montmartre pour quelques pourboires.

Mais plusieurs drames allaient changer le cours de son existence : il perdit son père à l'âge de 15 ans puis à 19 ans, il fut témoin d'une bavure policière, son ami de la Butte fut la victime, tué à coup de revolver. Il apprit plus tard que les policiers qui étaient à leur trousse les avaient confondu avec des membres de la bande à Bonnot. Cet épisode va le marquer au fer rouge et le poussera à se porter comme volontaire pendant toute la durée de la guerre de 1914-18.

Au cours d'un affrontement en 1915, Gen Paul fut d'abord blessé à l'orteil, puis quelque temps plus tard sa jambe sera gravement touchée et ne sera pas traitée à temps. Sa mère arrivée à son chevet, va lui sauver la vie. C'est elle qui ordonne aux médecins de lui couper la jambe pour le sauver d'une mort certaine. Mais l'opération se fera dans une douleur extrême, sans anesthésie. Plus tard, on l'interrogera beaucoup à ce sujet, ce à quoi il répondait « c'était ma destinée, sans ça je n'aurais jamais fait une carrière de peintre. »


Retour à Montmartre, mariage et vocation de peintre


A son retour à Montmartre, il fit la rencontre de Fernande Désirée Pierquet, une jeune Montmartroise et l'épouse en 1916. Ils emménageront ensemble au 2 avenue Junot, juste en face du Moulin de la Galette, à l'angle de la rue Girardon, qui allait devenir le mythique atelier Gen Paul. Il cherchait désespérément ce qu'il allait pouvoir faire de sa vie car sa pension mensuelle de 700 francs en tant que blessé de guerre n'était pas suffisante pour subvenir au besoin du couple.

C'est en regardant jouer les enfants de la butte de sa fenêtre que lui vint l'idée de peindre son premier tableau « Le Moulin de la Galette ». Cet hommage à ses parents qui se sont connus dans ce lieu jadis, lui porta chance. Il ne cessera de peindre depuis ce jour.

A ses débuts, grâce à un brocanteur de la rue des Martyrs, il aura un salaire régulier en acceptant de produire des tableaux inspirés du style de peintres célèbres et qu'il signait de faux noms. Mais dès 1917, il prend son envol, trouvera son propre style et signera ses œuvres Gen Paul.
Il traitera par la suite avec des particuliers et des marchands pour vendre ses œuvres mais il refusera les contrats d'exclusivité. Il voulait peindre comme il vivait et pour cela, il devait se sentir libre de faire les œuvres qu'il voulait. Lui seul choisit son sujet, on ne lui passe pas commande.
On qualifie sa peinture d'expressionniste qui est aussi un reflet de son caractère passionné, révolté, cynique, provocateur et anti-conformiste. Digne héritier de ses prédécesseurs : Van Gogh, Soutine, Rouault et Gromaire et ses sujets favoris sont les villes mais surtout Montmartre, les portraits de célébrités et d'inconnus, les artistes et le sport.

De 1919 à 1923 il va s'initier à la gravure chez le meilleur spécialiste de la butte, Eugène Delâtre, graveur, imprimeur et peintre lui-même qui a travaillé avec de nombreux peintres comme Lautrec, Renoir, Steinlen et Picasso.

Dans son atelier figé dans le temps, délabré mais plein de charme, il recevra jusqu'à la fin de sa vie une multitude de personnes, amis, artistes, voisins ou simples curieux. Beaucoup de jeunes femmes surtout des danseuses qu'il charmera, et beaucoup de musiciens qui viendront s’exercer pendant qu'il peint. Grand passionné de musique, il jouait du cornet à pistons comme il peignait : avec ardeur. Il a formé de nombreux jeunes peintres à qui il aimait donner des conseils et leur apprendre ses techniques. Il avait cet attrait pour la jeunesse, lui qui au fond était resté cet éternel enfant turbulent et qui même à la fin de sa vie, à 70 ans et plus continuait à séduire de très jeunes femmes. En plus d'être un peintre et un musicien de talent, il était aussi un comédien né et son atelier lui servait de scène. Il avait l'art et la manière de séduire tout public avec sa personnalité joueuse, attachante et provocante. Dans son atelier, en sa compagnie, on ne voyait pas le temps passer et surtout on riait à gorge déployée.


Son amitié controversée avec Louis Ferdinand Céline


Gen Paul s'est lié d'amitité avec beaucoup d'artistes du quartier : Maurice Utrillo et sa mère Suzanne Valadon, Francis Carco, Marcel Aymé, Pierre Mac Orlan, Michel Simon, Django Reinhardt, Arletty et tant d'autres. Mais on retient surtout cette amitié qu'il a eu avec l'écrivain et médecin Céline, son voisin avec qui il a entretenu une amitié qui a duré une dizaine d'années. Ils avaient beaucoup en commun : l’expérience de la première guerre mondiale, le franc parler populaire, leur insolence, le goût des femmes. Ils travaillèrent même ensemble puisque Gen Paul illustra pour lui deux de ses romans « Voyage au bout de la nuit » et « Mort à crédit ».

Mais dans le climat sombre de l'occupation et à l'approche d'une défaite allemande, il n'était plus bon, voire dangereux d'afficher un antisémitisme comme Céline a pu le faire ouvertement dans certaines de ses œuvres mais aussi à qui voulait l'entendre. Gen Paul, pour se protéger du caractère belliqueux de son ami (Céline a l'habitude de le nommer dans ses écrits Popol, cul-de-jatte, gogolo et d'en faire un personnage exécrable) mais surtout pour sauver sa peau préféra prendre de la distance. Sans oublier qu'à Montmartre le nombre de résistants ne cessait d'augmenter à l'approche de la libération... Céline en gardera rancune toute sa vie et Gen Paul n'aura de cesse de dire qu'à la fin de la guerre à cause de lui, pendant dix ans il n'avait rien pu vendre. Cette amitié le poursuivra sans cesse même en ayant renoué avec le succès on continuera à l'interroger ou à le juger sur cette amitié avec Céline.


Gen Paul, peintre controversé et oublié ?


Mort à 79 ans, enterré auprès de sa femme et de sa mère au cimetière Saint Vincent de Montmartre aucune date et gravure portant son nom comme s'il n'avait jamais existé. Laissant derrière lui une multitude d’œuvres et un fils. Aujourd'hui presque oublié du grand public, on ne peut s’empêcher de se demander si cela aurait un lien avec l'antisémitisme de Céline ?

Mais c'est dans son ancien atelier du 2 avenue Junot qu'on retrouve le plus sa présence et en fermant les yeux, on imagine le volet ouvert signe qu'il est disponible aux visites. Puis on entre dans un monde qu'il faut voir pour le croire. Cet atelier vétuste, c’est un amoncellement d'objets, et Gen Paul à son chevalet, pinceau à la main qui se retourne et vous sourit. Puis une fois l'atelier plein de son public, il nous raconte ses histoires avec son argot à couper au couteau. Laissant nos préjugés au placard, ses défauts, son amitié avec Céline, son vin mauvais, on l'écoute amusé et captivé et on repart avec cette impression d'avoir retrouvé en sa compagnie son enfant intérieur.

Pour retourner sur les traces des peintres de jadis à Montmartre, réservez votre visite guidée des peintres de Montmartre.

Pour en savoir plus :

Biographie de Gen Paul de Jacques Lambert

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