Edgar Degas, le peintre des danseuses


La jeunesse de Degas et la naissance de l’artiste


danseuses Edgar DegasParisien de naissance, Edgar Degas naquît non loin de la butte Montmartre. C’est le 19 juillet 1834 dans la rue St Georges (9eme arrondissement) que l'artiste vit le jour, dans une famllle bourgeoise et cultivée. Cette famille eut une influence certaine sur le petit Edgar puisque c’est grâce à elle qu'il découvrit le monde des arts. Edgar Degas eu une enfance plutôt heureuse, et c’est à l’adolescence qu’il fut confronté à un terrible événement, le décès de sa mère alors qu’il était encore au lycée. Cette épreuve le rapproche encore de son père, qui était déjà très à ses côtés. Son père l’emmena visiter des musées pour découvrir les œuvres des grands maîtres, lui fit rencontrer des collectionneurs d’art. Tout cela éveilla son intérêt, et Degas comprit peu à peu que sa réelle passion pour le dessin allait diriger son futur.

danseuses Edgar DegasIl fut tout de même poussé par son père à faire des études de droits qu’il abandonna au bout de deux années, en 1855, pour devenir officiellement un artiste. Il passa des heures et des heures devant ses œuvres préférées, devant le travail des grands maîtres à les copier, fasciné par leur faculté à dépeindre l’anatomie humaine. Il comprit que ce qui l’intéressait vraiment était le mouvement du corps, et la vie qu’il symbolisait.

Après avoir passé des journées à s’entraîner, il fut admis au Louvres comme copiste en parallèle de ses études de droits en 1853, et rentra en même temps dans l’atelier de Félix-Joseph Barrias. Il fut acharné, il était doué, et c’en est assez pour qu’il prenne la décision d'abandonner ses études de droits au profit de sa véritable vocation artistique.

Ainsi, il se fâcha avec son père, qui désapprouva son choix de carrière et lui coupa les vivres; Degas se retrouva dans une petite chambre du Quartier Latin, assez miséreuse pour qu'il ne puisse même pas se chauffer. Il y découvrit pour la première fois ce qu’est le quotidien d’un bon nombre de parisiens de son époque; une misère douloureuse, et la raison de toute cette débauche.

Mais cela ne découragea pas l’artiste, qui sentait bien qu’il devait continuer à faire ce qu’il aimait. Immédiatement après avoir abandonné les études de droits, il postula à l’école des Beaux Arts de Paris, où il fut accepté. Il poussa alors davantage son étude des grands maîtres, et ce qui lui plut tant chez eux; l’étude poussée de l’anatomie humaine, des mouvements du corps, et la fidélité au réel de leurs dessins. C’est à cette période qu’il décida de montrer ses oeuvres à Jean-Auguste-Dominique Ingres, qu’il admirait pour ses portraits. Très vite, il décida de l’imiter et partit trois ans en Italie pour faire son Grand Tour et se rapprocher de ce qu’il considérait comme la base de la peinture; Botticelli, Raphaël et Signorelli.

C’est à son retour à Paris qu’il fit la connaissance de ses amis impressionnistes, et s'entoura d’artistes tels que Claude Monet, Edouard Manet, Camille Pissarro, Ludovic-Napoléon Lepic ou bien même Emile Zola avec qui il discutait de ce que devait être l’art. Il installa alors son atelier 13 rue de Laval, qui se situait alors dans Montmartre.

En 1874, Degas commença à exposer ses œuvres lors d'expositions impressionnistes, auxquelles il participa activement, même pour leur organisation. Sa formation académique et classique le sépara tout de même de ses contemporains.


L'impressionnisme et Degas


Exposé auprès des impressionnistes, reconnu comme tel par les amateurs d’arts, Edgar Degas ne se considérait pourtant pas lui-même comme un impressionniste. Il appréciait de côtoyer les impressionnistes, d'échanger des idées avec Manet, Pissarro mais se différenciait de ses compagnons sur plusieurs aspects.

Ce fut la liberté de peindre revendiquée par les impressionnistes qui séduisit Degas, et le coup de pinceau caractéristique de ce courant; les couleurs, le mouvement, la rapidité d'exécution et l’influence des estampes japonaises.

Edgar Degas est dès lors considéré aussi comme un peintre impressionniste puisqu'il avait été attiré par par la liberté de ce mouvement artistique, mais il conserva cependant une touche personnelle mais aussi classique, académique.

Son étude poussée de l’anatomie le distingua de ses compères parfois très peu précis dans leurs représentations du corps humain.

Sa formation aux Beaux Arts et au Louvres lui avait permis d’acquérir une technique remarquable, mais sa personnalité et les échanges avec ses contemporains impressionnistes apportèrent à son coup de pinceau une modernité iconique.

Degas peignit principalement en intérieur. Complètement influencé par Ingres, il aimait les portraits, les représentations humaines. Il peignait à la lumière artificielle, la lumière humaine, quand les impressionnistes peignaient principalement des scènes à la lumière naturelle, comme Le bal du moulin de la Galette par Renoir par exemple, véritable chef d'œuvre de lumière.
Si Degas affectionnait autant la lumière artificielle, c’était pour des raisons diverses. Déjà, Degas voyait mal car il avait des yeux sensibles et rester trop longtemps à étudier un sujet avec de la lumière naturelle le faisait souffrir. Et puis, Degas c’était avant tout un naturaliste; il se définissait presque comme un sociologue, qui faisait une étude à travers ses œuvres dans sa société, de sa réalité.
Dans Paris et dans Montmartre, l’éclairage dans les rues commença à devenir banal; les gens pouvaient alors sortir le soir, se balader, et bien évidemment aller à l’Opéra. Cet éclairage artificiel qui permettait aux Parisiens de vivre la nuit était un nouveau pas dans l’Histoire de Paris, et Degas le savait. Il était donc tout naturel pour un naturaliste comme lui d’immortaliser cette avancée dans ses œuvres.


Les danseuses et l'étude de la société


danseuses Edgar DegasL’Opéra était à la mode à Paris, grâce à ce tout nouvel éclairage. Les gens y allaient pour admirer les ballets évidemment, mais pas seulement; c’est là que la bourgeoisie allait se faire admirer, c’est là que les jeunes gens se retrouvaient pour discuter, pour échanger des idées ou bien même des ragots, et c’est aussi à l’Opéra que certains hommes fortunés rencontraient des cocottes, des prostituées s'adressant à des clients de la bourgeoisie. L'Opéra devint alors l’antichambre de la prostitution bourgeoise. Malheureusement, ces petites danseuses, très jeunes, finissaient très souvent prostituées. Ce fut le cas de Marie Van Goethem, une modèle appréciée par Edgar Degas, qui finit par perdre sa place de rat d’Opéra à force d’absentéisme, allant poser à l’atelier du peintre. C’était elle le modèle de la petite danseuse de 14 ans, l'œuvre la plus scandaleuse de Degas, à travers laquelle le peintre voulait démontrer que la physionomie de certaines classes sociales étaient reconnaissables. Pour le peintre, avoir un front et un menton fuyant condamnaient la plupart du temps à rester dans le bas peuple duquel on venait; c’était la condamnation à une vie de débauche, et cela se voyait sur le visage.

Passant le plus clair de son temps à l’Opéra à faire son étude de ce monde, c’était sans surprise que l’histoire donna tristement raison au peintre; sa modèle finit bel et bien dans le monde de la prostitution. Degas garda un point de vue bourgeois malgré son expérience dans le miséreux Montmartre; ces femmes, ces enfants doivent trouver un moyen de vivre. Il en fit une étude triste, mais vraie; il fut plus que jamais naturaliste.

C’est cette dimension sociologique qui motiva Edgar Degas à peindre et à sculpter les danseuses, les gens du cirque, les jockeys et les modistes, mais pas que; le point commun de toutes ces professions, c’était la vie saisissante qu’elles renvoyaient à qui voulait bien les regarder.

Costumes colorés, mouvements gracieux et rapides, éclairages parfois sombres parfois clairs; tout était rassemblé pour que l’artiste amoureux de l’image de la vie passa des heures à observer ces endroits. Il était fasciné par le mouvement. Il voulait réussir à immortaliser un instant; il était obsédé par la thématique du temps, se détachant encore une fois de ses contemporains. Au cœur de son œuvre, il y a un besoin frénétique de capturer un instant; il ne voulait pas que ses œuvres ressemblent à de simples portraits. Il voulait donner l’impression au spectateur qu’il venait d’entrer discrètement dans une salle de répétitions à l’Opéra. Sans être Ce n'était pas une photographie, mais ça y ressemblait.

Il observait les courses de chevaux, les répétitions de danse et de cirque, le travail des modistes. Il observait les corps, leurs mouvements, leur souplesse et leur agilité, la rapidité et l'expertise. Il admirait les couleurs des tissus, le reflet de l’éclairage sur la peau, et la réalité de tous ces modèles qu’il croisait. Il dit un jour: “On m’appelle le peintre des danseuses. On ne comprend pas que la danse a été pour moi un prétexte à peindre de jolies étoffes et à rendre des mouvements.”


La perte de son outil de travail principal: la vue


Edgar Degas, n’ayant jamais eu une très bonne vue, commença à la perdre progressivement. Handicapé à vie, privé de son outil d’artiste le plus précieux, Degas fut forcé de changer son art, de s’adapter à sa condition pour tout de même rester l’artiste qu’il était destiné à être. Son étude de la vie et du mouvement ne purent plus être aussi précises, et ses matériaux durent eux aussi être changés, beaucoup trop précis et délicats pour sa nouvelle vision.
C’était sa première chambre, la miséreuse et froide chambre du Quartier Latin, que Degas accusa pour la perte de sa vue; “C’est dans cette mansarde que j’ai pris froid aux yeux.”

C’est à cette période que Degas commença la sculpture, devenue beaucoup plus facile et reposante pour lui puisqu’il put utiliser le toucher. Son attraction pour les danseuses, leur agilité, leurs mouvements mais aussi pour leurs couleurs était toujours présente; il sculpta beaucoup de statuettes, d’études presque de danseuses, et finit par créer sa sculpture la plus accomplie, la plus célèbre, mais aussi la plus polémique.

La petite danseuse de 14 ans avait un aspect bien singulier; elle est faite de cire, ce qui ne servait pour les artistes sculpteurs qu’à produire de simples ébauches. Si Degas choisit la cire, c’est dans l’optique éternelle de se rapprocher au mieux de la chaleur, de la souplesse et du mouvement qu’est la vie. La cire était souple, modelable; elle n’était ni froide ni dure comme la pierre ou le métal, et sa fragilité ne se rapprochait que trop d’un réel corps humain.
En plus de cette matière particulière, Degas habilla sa sculpture. Sa petite danseuse, qui se tenait debout, les mains dans le dos, dans une espèce d’attente presque impertinente, portait son corset de danseuse, ses petits chaussons de satin, et même un vrai tutu de rat d’Opéra. Cette particularité d’avoir un vrai tutu de tissu permit à cette statue déjà saisissante de paraître encore plus réelle; en fait c’était encore une fois une étude de la part du peintre, lui qui aimait tant observer et reproduire.
Lorsqu’elle fut exposée pour la première fois à la sixième exposition impressionniste, la petite danseuse de 14 ans instaura un malaise auprès de ses spectateurs, choqués de son réalisme et la jugeant scandaleuse, vicieuse, indigne d’être exposée.
Certains artistes tels qu’Auguste Renoir la trouvèrent intéressante, réaliste et novatrice. Malheureusement, cela ne rassura pas Degas qui préférait la cacher chez lui, bien gardée et inaccessible aux yeux de ce public houleux.

Après la mort de Degas en 1917, la sculpture a été coulée en bronze en 69 éditions, et l’originale en cire fait désormais partie de la collection de la National Gallery of Art de Washington. Une des copies en bronze peut être admirée aujourd'hui au Musée d'Orsay.


Une amitié déterminante


Lorsque Suzanne Valadon se décida à dessiner sérieusement pour la première fois, c’est à Degas, déjà réputé dans la capitale, qu’elle montra ses dessins afin d’avoir son opinion. Lorsque Degas la rencontra puis découvrit son travail, il s'exclama “vous êtes des nôtres!” et lui acheta alors beaucoup de ses dessins. De cette rencontre découla une amitié solide, qui persévéra dans le temps malgré leurs différences profondes. Il était un solitaire, studieux. Elle aimait l’amour, les hommes, les aventures, la vie de débauche qu’offrait Montmartre à la tombée de la nuit.

Ce contraste entre leurs personnalités respectives ne les empêcha pas de s’apprécier énormément. Peut-être que le refus de Degas de coucher avec Valadon, femme célèbre pour collectionner les amants, a été la colle de leur relation platonique si forte. Degas a su encourager Suzanne Valadon à ses débuts, et toute leur vie, les deux artistes se sont soutenus, dans les dures conditions de vie des artistes à la butte Montmartre, alors le quartier le plus pauvre de Paris. Le comportement fier, fort et assumé de la libre Suzanne Valadon fît d’elle la première femme à réellement trouver sa place dans la bohème de Montmartre, un milieu normalement réservé aux hommes. Sans doute c’est cette force de caractère et son grand talent qui ont tant plu à Edgar Degas.

Degas étant réputé pour être sévère avec ses amis artistes, il est impressionnant de constater qu’il adorait vraiment le travail de son amie, lui écrivant même alors qu’elle ne lui montrait plus grand-chose; “Ce sont vos dessins que je ne vois plus. De temps à autre, dans ma salle à manger, je regarde votre dessin au crayon rouge qui y est toujours pendu. Et je me dis toujours : « Cette diablesse de Maria avait le génie du dessin. » Pourquoi ne me-montrez-vous plus rien ?”

L’homme derrière l’artiste


Edgar Degas était un artiste accompli, qui a énormément aidé à la modernité de la peinture. Tout comme Cézanne (inspiration première de Picasso), il a posé des bases solides et une inspiration certaine pour ceux qui ont suivi; Picasso, Modigliani, Suzanne Valadon, Marie Laurencin…

Il ne fut pas aussi accompli sur le plan personnel; réputé dans son entourage pour être un misogyne, Degas avait une certaine aversion pour la gente féminine, ou en tout cas une partie. Cette débauche qu’il a tant essayé de reproduire dans certaines de ses œuvres lui faisait peur. Il n’a pas voulu avoir de compagne ou même de rapport pendant la plus grande partie de sa vie par peur d’attraper la syphilis, alors extrêmement courante à son époque, surtout dans les bas fonds de la société.

Antidreyfusard, Degas est soupçonné d’antisémitisme, comme beaucoup de ses contemporains.

tombe Edgar DegasSon père mort et son frère ruiné, Degas finit par connaître véritablement la misère. Il renfloua un peu ses comptes quand il commença à se faire un nom, et cela lui permit de devenir un collectionneur passionné; ses amis l'appelaient le “phénix des collectionneurs”. Fatigué, Degas dira; “À part le cœur, il me semble que tout vieillit en moi proportionnellement. Et même ce cœur a de l’artificiel. Les danseuses l’ont cousu dans un sac de satin rose, du satin un peu fané, comme leurs chaussons de danse.” Sa vue se détériora, sa condition physique aussi, et sans le sou il est forcé de déménager sur l’avenue de Clichy. Ronchon, on pouvait le voir se balader dans le quartier; il ne produisit plus d'œuvres, et il fut presque aveugle… Cette situation dura 6 ans, et Edgar Degas mourut le 26 septembre 1917 à l’âge avancé de 83 ans, laissant derrière lui une modernité révolutionnaire.

Edgar Degas repose dans le cimetière de Montmartre.


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